Partir à la quête de soi avec Julia de Funès

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Partir à la quête de soi avec Julia de Funès


Qui suis-je ? Si cette question a traversé les siècles, elle n’en demeure pas moins complexe :

  • Sur le plan théorique : le mot même d’identité est porteur d’un paradoxe fondamental, signifiant à la fois le même (être identique) et le différent (être spécifique).
  • A l’échelle individuelle : à l’heure de l’essor du développement personnel et de la narcissisation du moi sur les réseaux, comment affirmer sa singularité malgré les postures convenues et les identités admises ?
  • A l’échelle collective : alors que les dogmatismes identitaires s’exacerbent, comment l’appartenance à une ou des communautés contribue à nous définir ?

Au travers de son ouvrage Le siècle des égarésJulia de Funès nous invite à urepenser la quête identitaire en questionnant le principe d’identité au profit du « sentiment de soi » pour redonner du sens à notre existence et réaliser notre désir « d’être soi ».


Comment l’identité est-elle devenue une valeur cardinale de notre société ?

Pendant des siècles, la religion et la métaphysique ont apporté des orientations, sinon des réponses aux questions existentielles des hommes. C’est par rapport à l’ordre général du monde que la plupart des hommes devaient se situer, réussir sa vie pour Platon ou Aristote revenait à trouver sa place, son topos.
Au XVIIIème siècle, avec la disparition du cosmos puis du divin comme ordres référents, ce sont les valeurs humanistes qui sont venues les supplanter (la raison, la science, le progrès, l’égalité…).
C’est seulement au XXème siècle que l’idée d’ordre supérieur s’évanouit pour laisser place à la primauté de l’individu. Et si l’individu se retrouve face à lui-même sans autorité transcendante, la question de son identité, devient par voie de conséquence, centrale.


L’identité, un concept philosophique complexe

Chercher une identité revient à chercher une permanence (ce qui demeure le même). Or ce qui est, est par essence soumis à la temporalité et donc de fait jamais identique à lui-même. Aussi, à vouloir poser une permanence, l’identité devient inopérante.
Une permanence qui puisse définir une identité ne peut se faire que par catégorisation et donc généralisation. Or la généralisation est par essence contraire même au concept d’identité car celui-ci suppose justement une singularité et des aspérités personnelles.

Qu’est ce qui donc demeure ?

  • Le corps ? S’il s’agit là du premier élément de reconnaissance d’un individu et donc d’une condition nécessaire pour rendre compte d’une identité, elle n’est pour autant pas suffisante.
  • La conscience ? Si je change l’intégralité de mon corps, suis-je toujours le.la même ? Seule la conscience donne une perception continue de soi. En revanche, il s’agit là toujours d’une subjectivation de la réalité et se regarder comme un être, c’est devenir deux, cela suppose de se « séparer de soi-même » : on ne peut l’observer sans l’anéantir par l’exercice même de cette observation.

Savoir être à soi plutôt que se définir par une identité 

Si l’identité chosifie et homogénéise, le sentiment de soi distingue et humanise. Le sentiment de soi ne nous perd jamais car il ne vient pas noyer le moi et englobe l’individu dans son entièreté. Que signifie alors savoir être à soi ? Il s’agit de s’ouvrir à l’autre sans s’oublier, préférer les questions qui dérangent aux questions qui rassurent, forger sa conscience morale, son esprit critique.
Savoir être à soi suppose d’avoir une connaissance de soi, qui va au-delà :

  • des informations que l’on reçoit de l’extérieur mais que l’esprit ne reconnaît pas de lui-même (par exemple, on sait qu’on est né à une certaine heure à un certain endroit car on nous l’a dit, mais c’est une connaissance ignorante, car on ne peut pas la produire de nous-même).
  • Des connaissances rationnelles qui se réfèrent à des modèles établis et donc généralistes : par exemple la psychologie permet de faire la lumière sur soi et d’expliquer certains comportements mais toute la singularité de l’être n’est pas saisie.

Savoir être à soi implique une connaissance intuitive directe et totale de soi : il ne s’agit plus de comprendre ou d’intellectualiser mais bien de ressentir, d’avoir la sensation de soi, de gagner en réel et présence. Dans La recherche du temps perdu, les souvenirs convoquent la résurrection d’un ancien « moi » et c’est à ce moment que le sentiment de soi s’exacerbe : on a vécu une impression et on en prend conscience dans le présent, le moi est retrouvé et rendu à lui-même.

Le soi tient donc davantage d’une sensation que d’une identité théorique : l’essence n’est pas intelligible mais dans le foisonnement du sensible. Savoir qui on est reviendrait donc à être dans le désir de ses désirs, la volonté de ses volontés, dans la véracité de son message. C’est « accepter la grande aventure d’être moi » S. de Beauvoir.
Selon Julia de Funès, éprouver ses désirs avec la ferme résolution de les accomplir est existence. Dès lors, elle suggère de préférer la liberté à l’identité, l’existence à l’essence. Nos choix apparaissent dès lors comme une manière d’appréhender qui on est car « choisir c’est s’affirmer, et affirmer c’est devenir la cause adéquate de sa vie et de ses choix. ».


Travail et identité

Dans une interview accordée à BrutX, Julia de Funès questionne le rapport au travail notamment sous ce prisme de l’identité. Si le travail a longtemps été un marqueur identitaire et une finalité qui donne du sens à l’existence, on assiste à l’essor d’un nouveau paradigme où le travail n’est plus posé comme finalité mais comme moyen. Le travail devient alors un moyen pour s’épanouir dans l’existence (mais aussi subsister ou encore faire vivre sa famille) : le sens n’est pas placé dans le travail en lui-même mais dans la finalité qu’il suppose.